Article (lien orginal) d’usine nouvelle PUBLIÉ LE 24 AOÛT 2022 À 14H55.
Auteur : RAPHAËLE KARAYAN
Que possède réellement l’acheteur d’un NFT ? Un jeton sur la blockchain. A celui-ci peuvent être attachés des accords de licence… ou pas, au bon vouloir du vrai détenteur des droits de propriété intellectuelle de l’œuvre sous-jacente.
De quoi est-on propriétaire quand on achète un NFT ? C’est la question que pose une étude de Galaxy, une société d’investissement, de minage, de conseil financier et de trading active dans le secteur de la blockchain, publiée le 19 août. Il en ressort que ni les créateurs ni les acheteurs ne savent vraiment où ils mettent les pieds, et que les places de marché entretiennent volontairement le flou artistique.
NON, ACHETER UN NFT NE REVIENT PAS À ACHETER UN JPEG
À partir d’une analyse des principales collections de NFT du marché, Galaxy Digital conclut que “la vaste majorité des NFT confère zéro droit de propriété intellectuelle sur leur contenu sous-jacent”, que les émetteurs de NFT “semblent induire en erreur les acheteurs”, et que les places de marché comme OpenSea ne font rien pour clarifier la situation. La société résume la situation comme un “labyrinthe d’accords de licence opaques, trompeurs, complexes et restrictifs”.
“La plupart des gens pensent qu’acheter des NFT c’est acheter des jpeg, les fichiers images que l’on voit par exemple sur OpenSea. Mais en réalité, les émetteurs des collections de NFT conservent la propriété entière de ces images”, indique Galaxy, qui a examiné en détail les licences attachées à ces collections. La quasi-totalité ne confère qu’un droit d’usage, assorti de droits d’utilisation commerciale variables.
ZÉRO DROIT DE PROPRIÉTÉ INTELLECTUELLE
Galaxy explique le fond du problème. “Le simple fait qu’un NFT pointe vers une image ne donne pas, en soi, au propriétaire du NFT un droit quelconque sur cette image, pas plus que créer un NFT de la Joconde donne à son créateur de droits sur la Joconde.” Le droit est clair : aux États-Unis, le copyright (qui diffère du droit d’auteur français) est la seule forme reconnue de propriété d’un contenu numérique. Sans copyright, le propriétaire du NFT n’est pas le propriétaire du contenu, mais un simple titulaire d’une licence par laquelle l’auteur lui concède certains droits. “Ce que vous possédez est le jeton qui pointe vers une rareté. En ce sens, un acheteur de NFT loue la rareté au véritable détenteur de cette rareté”, par exemple à Yuga Labs, traduit Galaxy.
Or, les détenteurs du copyright ont le droit de modifier ou de révoquer cette licence quand ils veulent et comme ils veulent, “ce qui est un défaut majeur dans l’architecture des NFT”, considère Galaxy. La preuve, Moonbirds (des hiboux pixellisés, 8e collection mondiale de NFT en valeur de marché) est passé du discours “vous êtes titulaire des droits de propriété intellectuelle” à une licence Creative Commons CC0, ce qui revient à faire tomber les œuvres dans le domaine public. Plus de copyright, mais plus non plus d’intérêt d’acheter le NFT !
“DÉFAUT MAJEUR” DANS L’ARCHITECTURE DES NFT
Yuga Labs (BAYC, Crypto Punks…), qui représenterait 63% de la capitalisation des 100 plus grosses collections de NFT, a lui aussi modifié sa licence pour Bored Ape Yacht Club. Celle-ci stipule que l’acheteur d’un NFT BAYC “détient l’œuvre sous-jacente, complètement”. Pour Galaxy, c’est très contradictoire : la simple existence de la licence prouve que c’est Yuga Labs qui détient les droits. La société est la seule à pouvoir accorder une licence. Si on détient vraiment une œuvre, à quoi bon avoir besoin d’une licence ?
Galaxy porte un sérieux coup à l’édifice des NFT, estimant que si les droits d’usage d’un contenu associé à un NFT dépendent entièrement de la permission du vrai titulaire de copyright, “ce n’est même pas sûr qu’une blockchain soit requise”. Reste l’intérêt de la blockchain pour le marché secondaire.
EN FRANCE, LE CSPLA TRANCHE : UN NFT EST UN TITRE DE PROPRIÉTÉ SUR UN JETON
Un rapport du CSPLA (Conseil supérieur de la propriété littéraire et artistique) sur les NFT, publié le 12 juillet, offre un éclairage supplémentaire des réflexions de l’étude de Galaxy. Malgré les différences entre le droit d’auteur américain et français, le CSPLA aboutit aux mêmes conclusions.
Le président de la mission et la rapporteure, respectivement avocat à la Cour et maître des requêtes au Conseil d’État, concluent que les NFT ne peuvent s’apparenter, sauf exception, ni “à une œuvre d’art au sens du code de la propriété intellectuelle, son smart contract ne pouvant, en l’état des capacités techniques observables, contenir le fichier sous-jacent dans la blockchain (…), ni à un certificat d’authenticité, en l’absence de tout tiers vérificateur de l’authenticité du fichier associé ou de sa paternité”.
La mission propose de considérer un NFT “comme un titre de propriété sur le jeton inscrit dans la blockchain, auquel peuvent être associés d’autres droits sur le fichier numérique vers lequel il pointe, dont l’objet, la nature, et l’étendue varient en fonction de la volonté de son émetteur.” En d’autres termes, ce que possède l’acheteur d’un NFT, c’est le NFT. Point.
PAS DE DROITS PATRIMONIAUX SUR L’ŒUVRE NUMÉRIQUE ASSOCIÉE
Abondant dans le sens de l’étude américaine, le CSPLA ajoute que l’acquéreur d’un NFT “n’est pas nécessairement détenteur des droits patrimoniaux qui s’attachent au fichier numérique qui lui est associé, sauf cession ou licence contractuelles des droits”.
Ainsi, même si la Conseil estime que les NFT “soulèvent des questions juridiques complexes”, il écrit qu’ils “ne s’inscrivent pas dans un vide juridique : par défaut, les fichiers protégés vers lesquels ils pointent restent soumis au droit d’auteur et aux droits voisins. Sauf contractualisation explicite ou conditions générales prévues par la plateforme, les NFT ne sont donc pas automatiquement cédés avec l’ensemble des droits associés à ces fichiers.”
De quoi donner des sueurs froides aux spéculateurs qui ont acheté leurs NFT au plus haut début 2022, le marché s’étant depuis littéralement effondré en volume et en valeur, dans le sillage de la chute des cours des cryptomonnaies.