Pourquoi les titres de propriété d’œuvres d’art sous forme de NFT ne sont-ils pas fiables ?

Alors que l’intérêt pour le “crypto art” explose, certains détenteurs de NFT racontent avoir perdu leurs titres de propriété d’œuvres d’art du jour au lendemain. Cette situation résulte dans la grande majorité cas d’une décision prise par les plateformes gestionnaires, telles que SuperRare, Rarible… Elles peuvent ainsi unilatéralement décidée de “masquer” l’image détenue en réponse à une violation des conditions d’utilisation. Cependant, inscrits sur la blockchain Ethereum, les jetons existent toujours en réalité. Cette situation souligne le peu de fiabilité de ces titres de propriété dont la valeur est plus symbolique qu’autre chose.

ALICE VITARD | PUBLIÉ LE 30 MARS 2021 À 10H50

Source: L’usine-digitale

L’engouement pour les NFT, ces jetons non fongibles, ne se dément pas. Une galerie d’art new-yorkaise, la Superchief Gallery, vient ainsi d’ouvrir une section dédiée aux œuvres numériques il y a quelques jours.

Les coûts s’envolent également. Une maison virtuelle, installée sur Mars et imaginée par l’artiste contemporaine Krista Kim, a été achetée pour 288 ethers, soit environ 500 000 dollars. Un article du New York Times signé par l’éditorialiste Kevin Roose a été vendu pour 560 000 dollars. Les exemples sont nombreux.

DES NFT QUI “DISPARAÎSSENT”
Mais cet emballement s’accompagne de son lot de controverses et frustrations. En effet, certains détenteurs de NFT ont vu leur propriété “disparaître” du jour au lendemain.

C’est le cas de Tom Kuennen, un gestionnaire immobilier de l’Ontario, qui raconte à Motherboard avoir acquis un fichier JPEG d’un “Moon Ticket” vendu par DarpaLabs, un collectif d’artistes numériques anonyme. La transaction a eu lieu via la marketplace OpenSea, l’un des plus grands fournisseurs de NFT. “C’est comme au casino, schématise Tom Kuennen. Si la valeur est multipliée par 100, vous le revendez. Si ce n’est pas cas, vous ne le dîtes à personne“.

Une semaine après son achat, il a ouvert son “portefeuille” numérique dans lequel le “Moon Ticket” était stocké. Surprise, l’œuvre d’art avait “disparu”. “Aucune trace de l’achat (…) n’était disponible“, raconte-t-il à Motherboard.

DES JETONS NON IMMUABLES
Cette situation est en apparence assez étonnante puisque le principe même des NFT seraient d’être immuables. En effet, ils sont inscrits sur la blockchain Ethereum. La valeur marchande de l’œuvre ne dépend donc pas que de sa valeur individuelle mais également de la valeur de l’Ether, la monnaie sur laquelle s’appuie Ethereum. Ainsi, cette sorte de “titre de propriété” n’a d’autre valeur que celle qu’il incarne symboliquement. D’autant qu’il ne fait généralement que pointer vers une page web sur le site de son émetteur.

Comme l’explique le community manager d’OpenSea, les NFT ne sont absolument pas immuables. Lorsqu’une personne achète une œuvre d’art sous forme de NFT, cela crée une signature cryptographique qui, une fois décodée, renvoie vers une image hébergée sur un site web ordinaire ou sur l’InterPlanetary File System, un protocole P2P construit autour d’un système décentralisé.

DISTINGUER L’IMAGE DU NFT
D’après le community manager, il faut bien faire la distinction entre l’image elle-même et le NFT, qui désigne la signature cryptographique enregistrée lors de la transaction. “Comparons OpenSea et les plateformes similaires avec des fenêtres dans une galerie où le NFT est accroché. La plateforme peut fermer une fenêtre quand elle le souhaite, mais le NFT existe toujours. Et c’est à chaque plateforme de décider si elle veut ou non fermer sa fenêtre“, explique-t-il.

Ainsi, lorsque le gestionnaire immobilier de l’Ontario Tom Kuennen a acheté son “Moon Ticket”, le fichier JPEG n’était pas inscrit dans la blockchain. Seul un certificat qui renvoyait vers un site a été créé (c’est le principe standard de fonctionnement des NFT). Ce lien a pu être supprimé pour des tas de raisons, raconte le community manager, telles qu’une violation des conditions d’OpenSea.

Cela signifie que si les titres de propriété des œuvres d’art sous forme de pages web peuvent être très facilement supprimés, les NFT en tant que tels restent inscrits dans la blockchain. Ces derniers ne peuvent pas être modifiés ni supprimés. Par conséquent, même si “la fenêtre sur l’image a été fermée”, le NFT sera toujours valable via d’autres plateformes spécialisées dans le crypto-art, telles que SuperRare ou encore MarkersPlace.

OPENSEA TESTE UNE NOUVELLE VARIANTE DE JETON
Mais cette explication n’a pas convaincu Tom Kuennen, qui affirme ne jamais avoir violé les termes de la plateforme OpenSea. Il ajoute qu’au-delà de la page web en elle-même, son jeton NFT a totalement disparu.

Cette situation résulte d’une expérimentation d’OpenSea : le recours à une nouvelle variante de jeton, “l’ERC-1155”. En effet, dans la grande majorité des cas, les NFT sont représentés sous une forme de jeton appelée “ERC-721”. Or, étant nouveau, l’ERC-1155 n’est pas encore compatible avec Estherscan, le moteur de recherche qui permet aux utilisateurs de chercher facilement des transactions qui transitent sur Ethereum. Par conséquent, les jetons ERC-1155 inscrits sur Ethereum n’apparaissent pas encore dans le moteur de recherche bien qu’ils aient été enregistrés.

Dans le cas de Tom Kuennen, la “disparition” résultait d’une violation des termes d’OpenSea et du nouveau jeton ERC-1155 actuellement incompatible avec Etherscan. C’est en tout cas la réponse fournie par Alex Attalah, directeur technique de la plateforme. Il a donc conseillé à l’acheteur de se connecter son portefeuille sur une autre plateforme.

C’est ce que Tom Kuennen a fait avec son “Ticket Moon” mais il ne s’affichait pas non plus sur Rarible. L’image n’a pas été supprimée à sa source puisque la plateforme certifiait que le NFT existait encore. Hypothèse la plus plausible : l’oeuvre d’art avait été “masquée” par Rarible. 

DES PLATEFORMES PEU FIABLES
Comme le note Motherboard, ce cas de figure montre le caractère peu fiable de ces plateformes, qui ont une liberté d’action presque illimité sur les titres de propriété qu’elles émettent sur des œuvres d’arts numériques sans que le propriétaire n’en soit averti. En effet, Tom Kuennen dit n’avoir reçu aucun avertissement avant que son achat soit “retiré” de la marketplace.

A noter que ce n’est pas le seul problème des NFT. Ils ont un coût environnemental très important, résultant en particulier de la quantité d’énergie nécessaire pour le système de validation par “preuve de travail”.

Le crypto art soulève également des problématiques réglementaires importantes. En effet, il n’offre aucune protection en matière de droit d’auteur, contrairement au marché classique de l’art qui, malgré certains travers, est encadré par des lois. En pratique, rien n’empêche une œuvre d’être tokenisée (et vendue) sans le consentement de son créateur. Cela se produit d’ailleurs déjà régulièrement. Or, une fois qu’un NFT est frappé, il n’y a aucun moyen de le supprimer.

Auteur : ALICE VITARD

Source: L’usine-digitale